Le rôle préparatoire du darwinisme pour la première et la deuxième guerres mondiales

Dans son livre, Europe Since 1870 (L'Europe depuis 1870), le célèbre professeur d’histoire britannique James Joll considère l’adhérence des chefs d’état européens au darwinisme comme étant l’un des facteurs menant à l'éruption de la première guerre mondiale:
Jusqu’ici, nous avons vu la façon dont les idées de Darwin ont influencé l'impérialisme de la fin du dix-neuvième siècle. Pourtant, il est important de comprendre combien la doctrine de la lutte pour l'existence et de la survie du mieux adapté fut littéralement embrassée par la majorité des chefs d’état européens dans les années précédant la première guerre mondiale. Le chef d'état-major austro-hongrois, le Baron Franz Conrad von Hoetzendorff, par exemple, écrivit dans ses mémoires d’après guerre:

"Les religions philanthropiques, les enseignements moraux et les doctrines philosophiques peuvent parfois servir à affaiblir la forme la plus brute de la lutte de l'humanité pour l'existence, mais ne réussiront jamais à l’empêcher d’être le fil conducteur du monde… En accord avec ce principe, la catastrophe de la guerre mondiale est le résultat des forces motrices des Etats et des peuples, comme un orage qui doit par nature se décharger."
Dans ce contexte idéologique, il devient plus facile de comprendre l'insistance de Conrad sur la nécessité d'une guerre préventive pour préserver la monarchie austro-hongroise.
Nous avons aussi constaté que ces vues ne se trouvaient pas que parmi les figures militaires. Max Weber, par exemple, s'est aussi profondément intéressé à la lutte internationale pour la survie. Kurt Riezler, assistant et confident du chancelier allemand Theobald von Bethmann-Hollweg, écrivit en 1914:
"L'hostilité éternelle et absolue est fondamentalement inhérente aux relations entre peuples; de plus, l'hostilité que nous observons partout … n'est pas le résultat d'une perversion de la nature humaine, c’est l'essence du monde et la source de la vie elle-même."65
Friedrich von Bernhardi, général pendant la première guerre mondiale et social-darwiniste allemand, se trouvait parmi ces personnages. "La guerre", a déclaré Bernhardi, "est une nécessité biologique; elle est aussi indispensable que la lutte des éléments de la nature; elle permet de prendre une décision qui soit biologiquement juste, puisque ses décisions se trouvent dans la nature des choses".66
Comme nous venons de le voir, les penseurs, généraux et dirigeants européens sont responsables de la première guerre mondiale. Selon eux, faire la guerre, verser du sang, souffrir, et infliger la souffrance étaient une sorte "de développement", comme une loi immuable de la nature. L'inspiration idéologique qui entraîna la ruine d’une génération entière n'était rien d'autre que les concepts de Darwin, comme celui de "la lutte pour la vie" et celui "des races favorisées". Deux ans après les déclarations de Bernhardi, la première guerre mondiale, qui était supposée mener à un développement (!) biologique, éclata, laissant derrière elle 8 millions de morts, des centaines de villes en ruines et des millions de blessés, mutilés, chômeurs et sans-logis. Le darwinisme fut de plus la source de la guerre engendrée par les nazis qui causa la mort d'environ 50 millions de personnes.
Hitler lui-même a souvent relié ses politiques de guerre et de génocide au darwinisme. Il n’attachait pas de l’importance à la guerre que parce qu’elle éliminait les races plus faibles, mais aussi parce qu'elle était un outil pour se débarrasser des membres les plus faibles de la race supérieure. L’Allemagne nazie prônait donc aussi la guerre parce qu'elle constituait, selon eux, une étape essentielle pour le progrès de la race.
L’évolutionniste A. E. Wiggam expliqua, dans un livre publié en 1922, l’idée sur laquelle Hitler a fondé sa politique, soit que "la guerre permet le développement des hommes", de la manière suivante:
… Autrefois, l’homme avait un cerveau à peine plus grand que celui de ses cousins anthropoïdes, les singes. Cependant, en donnant des coups de pied, en mordant, en se battant … en surpassant ses ennemis et parce que les faibles furent tués, le cerveau de l'homme est devenu énorme et il a pu croître dans le sens de la sagesse et de l’agilité autant que dans sa dimension… 67
Hitler, qui obtint l'appui d’évolutionnistes comme Wiggam, percevait la guerre comme une obligation pour ceux qui voulaient survivre. Dans Mein Kampf, il écrivit:
Le monde naturel en entier est une lutte puissante entre la force et la faiblesse - une victoire éternelle du fort sur le faible. Il n'existerait rien d'autre que la déchéance dans la nature s'il n'en était pas ainsi. Celui qui veut vivre doit se battre. Celui qui ne veut pas se battre dans un monde où la lutte permanente est la loi de vie, n'a pas le droit d'exister. Penser autrement serait "insulter" la nature. La détresse, la misère et la maladie en seraient les conséquences.68
Quand l’idée de la loi du plus fort fut acceptée comme loi naturelle et qu’elle fut adaptée aux sociétés humaines, les guerres commencèrent à être considérées comme une nécessité du développement de l’humanité. Hitler, par exemple, avait attribué la grandeur de l'Allemagne au fait qu’elle éliminait ses membres les plus faibles par la guerre depuis des siècles. Bien que les Allemands ne soient pas du tout étrangers à la guerre, cette nouvelle explication "scientifique" leur permit de justifier leur politique guerrière.
Hitler déclara ailleurs que "la civilisation humaine, telle que nous la connaissons, n'existerait pas sans un état de guerre constant".69
Haeckel proposa la mise en œuvre des méthodes sauvages des Spartiates, l’une des cité-Etats de la Grèce Antique. Il écrivit qu’"en tuant tous sauf 'les enfants parfaitement sains et forts', les Spartiates avaient continuellement été forts et vigoureux".70
La guerre était considérée comme "régulateur indispensable" des populations en Allemagne aussi bien que dans toute l'Europe. "S’il n’existait pas de guerre", écrivit le social-darwiniste Friedrich Von Bernhardi, "nous serions probablement obligés de constater que les races inférieures et dégénérées surpasseraient celles qui sont saines et jeunes grâce à leur richesse et à leurs nombres. L'importance générative de la guerre est qu’elle cause la sélection naturelle et devient ainsi une nécessité biologique". 71
Comme nous avons vu jusqu'ici, Hitler et les idéologues nazis qui l'ont soutenu, inspirés par les idées de Darwin, considéraient la guerre comme une nécessité. En mettant cette nécessité en pratique, ils ont fait souffrir leur peuple et d’autres peuples du monde. Dans ce contexte, il est possible d'identifier Charles Darwin comme étant l’un des principaux responsables de la violence de la deuxième guerre mondiale.
Le professeur Jerry Bergman décrivit l'effet du darwinisme sur la deuxième guerre mondiale de la façon suivante:
Il est évident que les idées darwinistes ont eu un impact énorme sur la pensée et la pratique allemandes… En fait, les idées darwinistes ont eu une influence énorme sur le commencement de la deuxième guerre mondiale, la perte de 40 millions de vies et le gaspillage de 6 trillions de dollars. Fermement convaincu que l'évolution était vraie, Hitler s'est perçu comme le sauveur moderne de l'humanité… En cherchant à élever une race supérieure, le monde le considérerait comme l'homme dirigeant l'humanité vers un niveau d’évolution également supérieur.72
Bien sûr, il exista d'innombrables guerres dans le monde avant que Darwin n’avança sa théorie. Mais, ces théories offrirent à la guerre pour la première fois une justification scientifique fallacieuse. Max Nordau attira l'attention sur l’effet négatif que Darwin eut sur le concept de la guerre dans un article intitulé The Philosophy and Morals of War (La philosophie et les morales de la guerre), qui fit du reste des remous en Amérique:
La plus grande autorité idéologique pour tous les partisans de la guerre est Darwin. Depuis que la théorie de l'évolution a été promulguée, ils peuvent couvrir leur barbarie naturelle avec le nom de Darwin et déclarer leurs instincts sanguinaires les plus intimes comme étant le dernier mot de la science.73
Ce n'est pas une coïncidence qu'après un 19ème siècle modelé par les idées d’idéologues matérialistes tels que Darwin, Marx et Freud, lui succède un 20ème siècle d’une violence encore inégalée. Le darwinisme a servi de base théorique et soi-disant scientifique à un monde où les despotes qui considéraient la guerre indispensable au développement de l’humanité ont tué un total de 60 millions de personnes entre les deux guerres mondiales.

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